Une Baleine dans la tête \\ Chapitre 4



            Steph est réveillée par la basse de Renaud. Rien de mieux pour la mettre d’une humeur de chien.
            — Chiant ! dit-elle en repoussant brutalement les draps avec ses longues jambes.
            C’est toujours la même rengaine, toujours la même rengaine.
            — Chiant ! dit-elle en enfilant son jean.
            C’est comme s’il ne connaissait qu’un seul morceau et qu’il le rejouait encore et encore.
            — Chiant ! dit-elle en dévalant les escaliers.
            Les murs vibrent, les carreaux se froissent, la maison va s’écrouler et la falaise avec.
            — T’es chiant ! dit-elle en entrant dans le salon où Renaud est installé, à sa place habituelle. Bordel, le matin, comme ça, c’est minant.
            Il s’en fout. Qu’elle cause, cette conne, puisqu’elle cause toujours. Il continue à jouer. Mais, comme elle se bouge pas, il lâche quand même dans un effort surhumain :
            — Je t’avais dit que j’avais des lignes à voir pour le concert…
            Elle fait une grimace qui ne veut pas dire grand-chose puis elle sort.

Une Baleine dans la tête \\ Chapitre 7



            — C’est un boulot pour toi, me dit Fanny. Avec ta petite sœur, tu as plus l’habitude des enfants que moi.
            Elle n’aura pas tenu plus d’une semaine. Je m’en doutais. C’est pourtant pas compliqué, bordel. Récupérer une gamine de quatre ans à la sortie de l’école. La raccompagner chez elle. Lui donner son goûter. Et puis quoi ? L’occuper un peu jusqu’au retour de sa mère. C’est tout.
            — T’exagères, je lui dis. Tu m’as dit que tu voulais le faire pour t’habituer aux enfants justement.
            — Oui mais je me suis rendu compte que j’étais pas faite pour ça.
            — En une semaine ?
            — Tu sais bien que je vois vite les choses.
            — Je suis occupée, moi, en ce moment…
            — A faire quoi ?
            — J’ai les serres à monter.
            — C’est pas si urgent…

Une Baleine dans la tête \\ Chapitre 1



            C’est là que tout a commencé.
            D’abord il y a une plage et deux personnages, une fille et un garçon. La fille s’appelle Steph. Elle vient d’avoir dix-sept ans. Je la trouve plutôt jolie derrière sa frange de cheveux bruns. Une frange qui lui donne bien du mal et qui tombe juste au-dessus de ses yeux sombres. Ses cheveux, chez elle, c’est toute une histoire. Ils sont longs, raides et lui descendent jusqu’au milieu du dos. Ils brillent, ont l’aspect de la soie. Elle a ses petits trucs pour obtenir ce résultat. Pour le reste, elle est longiligne, d’une ossature très fine – en serrant fort, on pourrait facilement lui casser les poignets. Elle n’aime pas son corps. Elle s’en sert pour faire n’importe quoi. Son corps, ce n’est pas très sérieux. Parfois, elle se réveille avec l’étrange impression qu’il ne lui appartient pas et il lui faut plusieurs minutes pour se le réapproprier. Le garçon l’aime bien, lui. Il s’appelle Renaud. Il a vingt ans. Il est grand, maigre avec des cheveux châtains bouclés qu’il ne coiffe jamais. On dirait un personnage de bande dessinée. Il semble toujours se réveiller ou s’endormir. C’est pas que la vie l’ennuie mais bon, elle passe, voilà, et ça lui est égal à lui, être ici ou ailleurs. Sa nonchalance exaspère Steph. Elle veut toujours entraîner la terre entière dans ses rêves. Elle est comme ces gens qui voudraient que tout le monde aime les livres qu’ils ont aimés, les films qu’ils ont vus. Elle a ce sens du partage extrême. C’est naïf et c’est touchant.